Il suffit de peu de temps pour basculer d’un état de crainte à un état de siège. Avons-nous encore dix ans devant nous pour réagir et ne plus tant subir ? Heureusement, nous sommes en Europe, donc organisés. Réchauffons nos cervelles et tempérons le climat. Demain, avec deux bras construire un seul destin.
Le coup de vent passa si près que le béret tomba, roula et fut emporté jusqu’en Méditerranée. Si l’on sait que le béarnais est plus un drôle d’oiseau qu’un indien (les indiens, pour se diriger, suivent les flèches), on peut légitimement douter de sa capacité à récupérer son couvre-chef dans la journée, donc de son retour pour le repas du soir.
Ce qui rajoutera, destinée aux enfants, une part de galette parisienne à la table familiale privée de son chef. Est-ce dire du mal que de supputer l’idée que, pour rechercher son galure, le béarnais se dirigera vers les montagnes, sûr de son fait : seules les Pyrénées peuvent faire obstacle à l’envolée de son béret, comme des cyprès, bouleaux, peupliers, pins et autres arbres à racines rampantes.
Sous le déluge qui accompagne les fortes intempéries, notre homme prendra comme moyen de locomotion un cheval, l’électricité étant coupée, il n’aura pas le choix. La voiture électrique, qui était en charge dans le garage (à coté du congélateur, du radiateur à bain d’huile, de la radio-télé, et du ballon d’eau chaude) lui fera défaut, sans parler des machines à café, des pompes à finances, des distributeurs de billets et de l’éclairage urbain (on a déjà vu se balancer des bérets, accrochés en haut des candélabres, en 1999).
Sur son fougueux destrier, il prendra la route du Pourtalet et changera de monture à Arudy. Arrivé à Laruns, il fera demi-tour : la route sera coupée (à hauteur de la centrale SHEM). Le vent le poussera délicatement en haut de Louvie-Juzon et il gagnera Nay, où le musée sera fermé pour cause d’éventaire.
Il ne pourra donc, ainsi que cela se pratique chez les pécheurs, rentrer chez lui en exhibant un béret qu’il dira avoir récupéré et qui ne sera pas l’original (d’autant que son tour de tête aura augmenté, avec le stress).
Le cheval, comme le cavalier, seront épuisés de cet infernal jumping entre les troncs, les palissades métalliques, les rivières en crue.
Alors, découragé, montera en lui la chanson de Prévert, "la chasse à la baleine", "la mer était mauvaise mais la soupe était bonne"...Puis, ayant rapporté le cheval aux haras de Gelos, le coeur gros il remontera la rue du XIV juillet, songera un instant à franchir le parapet du pont, regardera les eaux grossies et tumultueuses du gave.
C’est là, précisément, que je le croiserai et lui dirai :
"-Béarnais, il ne faut jamais désespérer d’une situation, ni n’oublier cette réalité fondamentale : dans les chapeaux de magicien se cachent toujours des lapins blancs, tu le sais. Eh bien, dans les bérets, sont nichés des pigeons voyageurs. Or, sache une chose : un pigeon voyageur peut faire dans la journée six cents kilomètres. Tu le déposes à Perpignan, il revient sur ta tête avant le repas du soir. N’est-ce pas présentement le cas ? Rentre chez toi et, avant même d’avoir franchi le seuil, ton béret te couvrira le crâne."
L’homme me regardera avec des yeux ronds, me prendra certainement pour un Etranger un peu typhonné, mais baste ! Du coin de l’oeil, j’observerai le pigeon sur la flèche de l’église Saint Martin, tenant dans son bec un béret. Quant au béarnais, en me quittant, il dira simplement : "pourvu qu’ils n’aient pas mangé toute la galette."
Alors, d’un coup de vent, le béret restera et l’homme s’envolera.
- par A. K. Pô
Nota bene : merci au président local du cercle colombophile (j’y reviendrai), à Pau.